20 / 10 / 05
Être enfant de rescapé. Jean-Claude SNYDERS
 
conférence / symposium To be a child of a survivor, Grenoble
 



Compte-rendu de conférence

Archives départementales de Grenoble.


Dans le cadre du 60ème anniversaire de la libération des camps de concentration, une exposition, Mathausen, au Musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère, a lieu du 15 avril au 15 octobre 2005 ainsi qu'un cycle de conférences en regard de cet événement. L'intervention de Jean-Claude Snyders apporte un regard singulier sur la question de l'écriture de l'histoire, le témoignage, l'importance de la circulation du récit de l'histoire. Sa conférence aborde les répercutions psychologiques et sociales de l'enfermement concentrationnaire sur l'environnement familial.

Après avoir publié Voyage de l'enfance, récit dans lequel il évoque la relation particulière et difficile avec son père qui fut déporté dans le camp d'Auschwitz, Jean-Claude Snyders apporte son témoignage sur la singularité de son histoire. Celle-ci rejoint celle de l'Histoire. Un ami de son père lui dit un jour : "Un enfant, pour grandir doit casser la gueule à son père. Le problème pour toi, c'est que toi tu n'as pas pu car ton père est un martyr."


 


En effet, un enfant de 3-5 ans joue à tuer son père, le dit et le mime. C'est le complexe d'Œdipe (ensemble divers éléments hétérogènes dont le rôle est fondamental dans la structuration de la personnalité et l'orientation du désir humain). Le complexe d'Œdipe pour Jean-Claude Snyders n'a donc pas eu lieu de manière communément vécu par les autres enfants. Il n'a jamais joué à tuer son père. Aucune interdiction pourtant ne lui avait été formulée. Il précise : "Quelque part, je sentais que mon père avait déjà été tué à Auschwitz".

Sa crise d'adolescence ne s'est pas déroulée non plus de manière convenue. Il était aussi doux avec ses parents à 16 ans qu'à 8 ans. Lui-même a trois fils ; et lorsque ceux-ci lui reprochent parfois d'être trop sévère ou trop présent il se souvient qu'au même âge, lui, n'a jamais osé dire à son père : "laisse-moi tranquille".

Le premier constat de ce tracé de vie définit sa position en regard de ce qu'a vécu son père. Le fils a épargné son père parce que les nazis ne l'ont pas fait. Aucune agressivité contre son père ne pouvait se faire sentir.

En regard de l'histoire de son père, il cherche à saisir ce qui peut déterminer un homme à devenir un bourreau. L'un des éléments essentiels à cette orientation de vie s'impose la culpabilité.
Une agressivité culpabilisée par le père construit quelqu'un dans une visée de violence contre soi et contre les autres.


La culpabilité

Le père de J.-C. Snyders, comme tous les rescapés, eut souvent des accès de fureur soudains. Ils ne peuvent pas attendre. À cause, justement, de ces interminables attentes dans les conditions les plus délabrées. Dans ses colères démesurées, son père devenait un autre, méconnaissable. Aborder la question de la vie dans les camps provoquait chez lui ces mêmes colères. Ainsi, aucun récit ne lui a été rapporté. Le silence a pesé sur lui de façon bien plus lourde. Discours inaudible et omniprésent dans le quotidien de la famille. "Mon père a gardé son secret comme une porte scellée". En ne révélant rien sur cette partie de son histoire / fragment de l'Histoire, le père de J.-C. Snyders a cru épargner ses enfants. Il pensait ainsi ne pas les atteindre. "Tout secret est pire que la pire des vérités".

L'exemple de Françoise Dolto est remarquable sur le pouvoir de la parole. Lors d'un travail en pouponnière avec des bébés de 2-3 mois, qui souffraient de maux de ventre, elle leur disait pourquoi leurs parents étaient absents. Le résultat fut édifiant. Les maux de ventre disparaissaient. Les bébés entendaient la vérité.
De la même manière qu'il a été prouvé qu'un enfant qui est éduqué dans la violence et le tabou de la sexualité est bien plus féroce pour la suite dans sa vie.


L'éducation

Comment d'un être normal à priori on peut faire un bourreau? On ne naît pas criminel, on le devient. Une éducation répressive est marquée par la violence.

Comme le considère Bettelheim, un enfant croit qu'il est la cause de tous les affects de ses parents. Dès cet instant, la culpabilité envahit cet être qui, en grandissant, va nourrir l'idée qu'il est responsable de cet affect. Le bourreau est cet être qui se sent coupable de ne pas recevoir l'amour de ses parents.
L'éducation à la propreté par la répression révèle une éducation sur la sexualité de l'impureté de l'être. La véritable impureté est au fond de celui qui tue.

Jean-Claude Snyders rejoint alors la pensée existentialiste de Sartre. Il exprime l'idée que l'être, en se choisissant, devient lâche ou héros. Il ne subit pas son histoire, il la détermine suivant les éléments qu'il possède. Bien que réfractaire à la psychanalyse, Sartre pose les bases de ce qu'on nomme aujourd'hui, grâce à Boris Cyrulnik, le phénomène de résilience. L'individu puise dans l'épaisseur de sa propre histoire en vue de ne pas subir son destin, et de créer son parcours, sa vie. Être existentiel c'est être créatif. Quel que soit le chemin ou le tracé, l'individu existe sans le recours à dieu.

D. B.


Publications / publications

Snyders, Jean-Claude, Voyage de l'enfance, récit, Paris, PUF, 2003

Snyders, Jean-Claude, Père et fils, Paris, Buchet Chastel, 1994

Snyders, Jean-Claude, Paroles perdues, Paris, Buchet Chastel, 2000