Genève,
8-9 mars
L’annonce
de ce Workshop à Genève avec Andrea Fraser avait fait des
heureux. Enfin surtout moi, je crois…." Ma conception de la
critique institutionnelle est vécue comme une pratique éthique
plutôt que politique "
I) ANDREA FRASER
Née en 1965, à Billings, dans le Montana, Andrea Fraser
suit, dès 1984, le Whitney program (Critical Studies) avouant des
influences allant de Craig Owen à Barbara Kruger. Ses premiers
travaux Raphaël-De Kooning proposent des peintures de Raphaël
superposées à celles de Wilhem De Kooning accompagnés
de textes extraits des monographies respectives des deux maîtres.
La magie de la rencontre s’opère. Woman I (1967) de Wilhem
De Kooning et la Madone à l’enfant (1506) de Raphaël,
distorsion du temps et de l’espace, montre combien est déjà
présent chez Fraser, le concept de détournement. 1+1=3,
c’est certain maintenant.
Les travaux se font plus critiques, et portent sur les institutions, Fraser
passe à la performance : A Gallery Talk : Highlights Museum. La
performance est filmée par Louise Lawler, Andrea Fraser est Mrs
John P. Castelton, vraie fausse guide/conférencière qui
réalise une visite conceptuelle du Musée d’art de
Philadelphie (1989), elle avait réalisé une performance
très proche en 1986 lors d’une exposition au New Museum of
Contemporary Art de New-York. Via cette performance, Andrea interroge
les pratiques pédagogiques (qui décide des contenus des
visites ? Que montre t-on ? Qui met-on en scène ? Dans quel contexte
?). Le principe de cette visite conférence est celui d’un
perpétuel décalage qui fait apparaître l’arbitraire
(et l’artificialité) du discours normalement tenu pour valoriser
les choses à voir. L’art de Fraser est ainsi vécu
comme un contre-pouvoir en charge de lutter contre l’invisible domination
symbolique exercée par le musée à travers la leçon
de goût qu’il est censé donner au bon peuple. Ce que
Fred Wilson appelle " le message silencieux du musée ".
Il y a du Hans Haacke, du Daniel Buren, du Yvonne Rainer, du Sherrie Levine,
du Louise Lawler évidemment, du Allen Mc Collum aussi, du Bourdieu
par là, avec Lacan et Foucault en garde fou, dans le travail de
Andrea Fraser. Elle le revendiquera.
En 1991, Fraser décide de s’attaquer aux pratiques culturelles,
invariablement liées aux classes sociales, thématiques très
bourdieusiennes, développée dans L’Amour de l’art.
En 1992, avec Aren’t they lovely ? , elle travaille sur la donation
de la photographe Thérèse Bonney à l’University
Art Museum de l’Université de Berkeley, Californie. Elle
adopte une position de " curator ". En translatant du domaine
domestique au domaine public des " objets ", elle interroge
les critères d’évaluations de ce qui est ou non de
l’art. On sent ici pointer l’influence de la sociologie et
notamment de Bourdieu (La Distinction).
En 1993, elle publia et proposa à des institutions un " prospectus
préliminaire " qui disait en substance : " L’opération
première des musées d’art est de transformer la culture
artistique spécialisée en culture publique. L’intégration
de ceux qui ne sont pas prédisposés aux usages et aux moyens
qui permettent l’appropriation d’une telle culture constitue
l’éducation publique qui définit les musées
comme institutions pédagogiques ".
Elle décide ensuite de dévoiler les systèmes qui
sous-tendent le " mécénat " : gain de prestige,
gain politique, gain financier. Les trustees (personnalités locales
issues du monde des affaires et du monde politique), les publics sponsors
(responsables politiques locaux parrainant l’exposition) et corporates
sponsors (dirigeant d’une entreprise multinationale parrainant l’exposition),
deviennent les protagonistes des travaux de Fraser (Generali Foundation,
Inaugural Speech…)
A partir de 1997, elle fonde, avec un groupe d’artistes (Mark Dion,
Renée Green, Fred Wilson…) une association sous le nom de
Parasite, jouant sur la polysémie du terme (para-site/parasite).
Ils occupent le Drawing Center de New-York, y proposent des expositions,
des archives, des groupes de discussion. L’aventure s’achèvera
rapidement, malgré l’intérêt non négligeable
des problématiques soulevées par " l’institution
" ex-situ. (artiste comme parasite social, site specific…).
En 2001, Little Franck and his carp montre Andrea Fraser à Bilbao,
dans l’enceinte du musée Guggenheim, réalisant une
performance critique et pleine d’ironie. Clin d’œil sournois
à Franck O’Gerhy, architecte-artiste du lieu, chef d’œuvre
de la chaîne de musée estampillée foundation Guggenheim.
Elle renverse la proposition en se faisant " spectatrice ",
munie de l’audioguide " officielle ", Fraser, robe courte
vert-pomme, interprète le texte à sa manière. Métaphore
biologique du " musée corps ", le visiteur serait le
sang de cette architecture, les propos sont séducteurs, plein de
sensualité. On y invite explicitement le spectateur à toucher
(transgression suprême du musée !), à caresser les
murs. Elle s’exécute. Elle mime des préliminaires
sur un pilier phallique du musée. Les visiteurs sont circonspects
(ravis ?). On pense à Vanessa Beecroft, au Guggenheim de New-York,
à Gucci…
En 2003, elle réalise une performance (Untitled) matérialisée
ensuite en une vidéo de 60 minutes, où on la voit avoir
une relation sexuelle avec un collectionneur, la rencontre ayant été
orchestrée par son galeriste, à la demande de l’artiste.
Caméra fixée dans un angle supérieure d’une
chambre d’hôtel luxueuse, nous sommes les voyeurs, complices
de l’affaire à l’heure de la société
de surveillance et du panoptisme télévisuel. Elle dit conserver
son autonomie en s’instrumentalisant elle-même. Elle est ainsi
libre d’orchestrer son exhibition. Sa stratégie serait celle
de la résistance contradictoire (l'infiltration) lors même
qu’elle interroge les attentes des collectionneurs (prestige, désirs,
profits économiques, tendances…).
L’ingérence
éthique vaut souvent mieux que la convenance esthétique.
Installé
dans "salle-appartement de Gislain Mollet-Vieville" du MAMCO,
les étudiants du CCC et de l’école du Magasin échangent
avec Andrea Fraser leurs interrogations.
Elle conclura avec un " de toute façon, je n’aime pas
vraiment les musées ", sentence qui fera écho à
Stéphanie Moisdon-Trembley qui avait lâché il y a
quelques semaines un titilleur " De toute façon je n’aime
pas les vidéos "…
Je
fais comment pour conclure moi ?
Post Scriptum: Nous avons profité de notre passage genèvois
pour rencontrer Christophe Cherix, voici l'interview
qu'il nous à accorder.
Julien
Blanpied
 
  
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